123.Psoriasis

Ce jour là, le patient était venu une heure plus tôt, persuadé d’avoir rendez-vous avec le médecin à 9h40. Nous avions déjà une heure de retard, sur les consultations, nous sommes allez prendre un café (oui, la pause de 10h30), puis nous l’avons finalement fait entrer dans le box de consultation.

C’était un homme agréable et prêt à attendre la journée pour avoir l’avis d’un dermatologue. Lorsque son tour est venu, j’ai vite compris que la consultation allait être longue. Il racontait le début de ses lésions : « J’ai du psoriasis depuis 15 ans, j’en ai toujours eu sur les coudes. ca s’est étendu un peu chaque année, mais là vous voyez, c’est bien. » Il avait retiré sa veste, ses coudes étaient très rouges, la plaque s’étendait autour de manière bien délimitée, mais sans squame. Il appliquait régulièrement des dermocorticoïdes et un dérivé de la vitamine D3, le calcipotriol, et ça ne le dérangeait absolument pas. Et comme les labos sont malins, ils ont sortis une crème qui associe les deux… Souvent, le médecin donne aussi un keratolytique pour faciliter l’élimination des grosses squames, c’est de l’acide salicylique dans de la vaseline.

En fait, souvent, les plaques lésions du psoriasis sont érythémateuses, avec des squames plus ou moins épaisses, et sa répartition typique, c’est sur les coudes, les genoux, le bas du dos avec un peu les flancs, le cuir chevelu, derrière les oreilles aussi et également le visage. En gros les zones convexes, mais aussi et fréquemment aux grands plis, qu’on différencie d’un intertrigo par son étendue faible et l’absence de squames, et tous les autres grands plis, les mains, c’est le psoriasis inversé En fait c’est possible partout, mais c’est moins fréquent. On dit dans les livres que ce n’est pas prurigineux, et que ça n’atteint pas le visage, mais moi j’ai vu pas mal de patient avec des plaques autour des paupières et du nez, et la plupart disent que ça gratte ! La médecin m’a dit qu’elle n’était pas d’accord avec nos livres. Elle se permet de critiquer les études scientifiques faites sur les signes de la maladie ! Pour quelqu’un qui reçoit des visiteurs médicaux toutes les semaines et qui passe sur M6, c’est étonnant. M’enfin finissons avec les signes. Y’en a aussi sur les ongles, comme si on avait enfoncé une tête d’épingle à plusieurs endroits dans l’ongle. Les lésions peuvent former des grandes plaques, ou des petites : le psoriasis en goutte. J’ai vu une patiente qui en avait sur tout le corps, on aurait dit une peau à pois rouges. Mais en fait, le psoriasis peut parfois être confondu avec une dermatite atopique (eczéma) ou une dermite séborrhéique. En fait les lésions sont proches, certaines se transforment en l’un ou l’autre. C’est un peu le bordel en réalité.

Notre patient, il utilisait toujours la même crème, et il ne s’en plaignait pas. Il mettait du temps à expliquer les évènements. Il essayait d’être le plus précis possible. Il m’a tout de suite fait pensé à ma mère lorsqu’elle précise les détails les plus insignifiants qui empêchent toujours d’avoir l’information essentielle. Parfois même, étant très attachée au détail, elle en perd l’idée principale, et puis moi aussi d’ailleurs. J’ai pris l’habitude je la laisser parler, elle aime bien, et puis elle fait la conversation. Quand j’en ai marre je la coupe, et ça ne la vexe pas parce que je lui dit que j’ai du travail ou je trouve un autre excuse. Ou alors je change de sujet… Mais là c’est un patient, il vient pour qu’on le soulage, et qu’on le comprenne. Il était en train de vivre quelque chose qui le marquait profondément. Je ressentais une vraie rupture, un bouleversement de son quotidien. Trois semaines plus tôt, il s’était réveillé à cinq heure du matin avec des douleurs intenses aux mains et aux coudes, à tel point qu’il ne pouvait presque plus bouger ses mains, ou tenir un objet quelconque. Il avait peur que les huiles essentielles, qu’il avait appliquées pour la première fois la veille, soient en cause. Il n’y connaissait rien et n’était pas un adepte de la médecine des plantes. Les médecins du CHU non plus d’ailleurs ! Dès qu’un patient en parle, ils rient intérieurement, et négligent l’effet que cela pourrait avoir sur le corps.

Le patient me faisait sourire intérieurement. Non seulement parce que je n’arrêtais pas de le comparer à ma mère, mais aussi parce qu’il parlait d’un air un peu maniéré, ou efféminé peut être. Il bougeait beaucoup la tête, en la penchant rapidement à droite, à gauche, en haut, à gauche, en bas… il était très expressif. La médecin perdait progressivement patience, mais elle le laissait parler tant que possible. Il était très sérieux. Il avait une grande calvitie pour son âge, il ne lui restait que la couronne de cheveux que l’on devinait malgré son crâne rasé. Sa tête me paraissait un peu grosse par rapport à la largeur de ses épaules, et ses lunettes trop grandes, mais c’est la mode en ce moment les grosses lunettes. La forme de son crâne était très aplatie derrière, et sa mâchoire anguleuse. Sa peau était assez foncée, il devait avoir des origines méditerranéennes, mais son nom ne nous l’indiquait pas vraiment.

« Depuis deux ans, j’ai des petites plaques sur les mains, avant j’en avais pas, c’est apparu comme ça, en hiver. Mais ça me dérange pas. Je mets pas beaucoup de crème dessus parce que les mains, c’est pas pratique. Faut toujours mettre une bonne épaisseur, après y’en a partout… moi ça m’embête, alors que les coudes, une petite couche suffit… ». C’est la que l’impatience du médecin s’est révélée. Elle l’a brutalement interrompu. Il cherchait ses mots, tout le temps, détaillait tout, nous on avait plus d’une heure de retard et la consultation doit durer 15 min. « Mais qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui, Monsieur ? » demanda-t-elle. « Je me suis réveillée il y a deux semaines et cinq jours exactement, c’était un jeudi matin, avec une douleur aux deux mains, surtout à gauche, ça me prenait là, et puis là aussi, je crois que ce doigt aussi, ça a du commencer vers cinq heure et demi du matin, ou peut être cinq heure car je n’ai pas regardé l’heure tout de suite. J’ai pris un paracétamol et je me suis pas rendormi. » Il montrait une douleur un peu diffuse, on ne comprenait pas bien quelles articulations étaient touchées.

Les douleurs étaient d’horaire inflammatoire et concernaient surtout les articulations métacarpo-phalangiennes et les poignets. Il n’y avait pas de gonflement. En fait le rhumatisme psoriasique touche 5% des patients qui ont des lésions cutanées. Ce sont les enthèses, insertions osseuses des tendons, ligaments et capsules, qui deviennent inflammatoires, et secondairement, il peut y avoir une atteinte de la membrane synoviale, qui donne des gonflements articulaires. L’atteinte axiale (sacro-illite, rachialgies) est plus fréquente que les atteintes périphériques.

En fait, le patient avait vu un dermato quelques jours plus tôt qui lui avait prescrit du méthotrexate au cours d’une consultation rapide, sans explication. Inquiet, le patient avait fait ses propres recherches sur internet, et y a vu qu’il fallait un bilan avant le début du traitement. En fait, beaucoup de mobilisations (associations de patients) concernant le psoriasis se sont créées. Plus de 125 millions de personnes sont touchées, et aujourd’hui, le 29 octobre est la journée mondiale du psoriasis pour, entre autre, faire connaître au grand public la pathologie. Le regard des autres est important lorsque les lésions cutanées sont importantes et atteignent des zones visibles.

Alors notre monsieur avec ses douleurs, il représentait un cas parfait de rhumatisme psoriasique. Alors on lui a donné des radios à faire : les mains, le bassin, le thorax, les pieds, les genoux… la totale. On a appelé le rhumatologue. C’est là que je suis restée une dizaine de minutes seule avec le patient. Je n’ai eu qu’à poser une seule question pour qu’il se lance dans les détails les plus fous de son histoire ! Il portait un tee-shirt d’adolescent, et je l’ai imaginé avec son scooter en train de crâner sur la roue arrière. Puis à conduire avec une seule main, celle qu’il arrivait finalement à bouger après le fameux dérouillage matinal, mais avec des douleurs atroces. Il s’était vraiment senti handicapé, et la peur de ne plus jamais retrouver l’usage de ses mains avait été bien présente et le hantait encore.

Le rhumatologue, il a craqué. Une cinquantaine d’année, spécialisé dans le psoriasis, lui il voulait juste faire un diagnostique, vérifier le lien entre le pso cutané et les douleurs articulaires, pas écouter toute son histoire qu’il avait soit dit en passant, recommencée depuis le début. Il tirait une tête ! On aurait dit Einstein. Les cheveux : même couleur, même longueur, même coupe ; les yeux petits avec des grandes lunettes noires ; maigre, grand, soporifique… c’était lui. Il cherchait la précision : quelles articulations étaient douloureuses, était-ce asymétrique, quelle type de douleur, est-ce qu’il y avait eu des gonflements, est-ce que ça le réveillait la nuit, les inter-phalangiennes distales étaient-elles touchées ? Mais le fait que le patient n’ait pas réussi à se préparer un café ce matin là, ni à prendre son téléphone ou ses clés de voitures pour consulter, c’était pas son problème. Moi je me retenais parce qu’il essayait de cacher son énervement derrière sa chevelure ébouriffée, il regardait par terre, sa montre, son papier. Malgré tout, il a fait un travail compétent : il a trouvé les signes objectifs permettant d’affirmer le diagnostique de rhumatisme psoriasique. Sur les radios, il n’y avait pas les caractéristiques propres de destruction osseuse (érosion, ostéolyse) et de reconstruction (hyperostose, ankylose, syndesmophytes…). Les atteintes sont le plus souvent asymétriques, notamment l’atteinte sacro-iliaque, peu symptomatique. Mais bon au final, ça se soigne comme la polyarthrite rhumatoïde, les deux sont des spondylarthropathies.

Finalement, je crois que ce qui a rassuré notre Monsieur, c’est d’avoir passé du temps avec la dermato, et d’avoir vu un rhumatologue. On ne lui a pas prescrit le méthotrexate, et il s’est senti beaucoup mieux. On lui a donné des anti-inflammatoire non stéroïdiens qu’il n’avait pas supporté au niveau digestif les semaines d’avant, en y ajoutant un petit pansement gastrique. Elle est forte la médecine.

Ce midi là, nous sommes allés au staff. Un pingouin en baskets et une poupée parisienne nous attendaient autour d’un excellent buffet pour nous parler d’un traitement du psoriasis. La discussion s’est orientée vers la grève des internes pour la liberté d’installation et la non limitation des dépassements d’honoraires. Quel bon repas.

Auriane M.

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Une réflexion au sujet de « 123.Psoriasis »

  1. sara

    J’adore. Surtout quand tu dis que « cest un peu le bordel, en réalité ». Décalage entre la théorie et la pratique clinique, signe aspécifique des disciplines médicales, mais assez constant en dermato. Il faut passer en salle pour réaliser qu’en fait les « lesions typiques », de « topographie évocatrice », eh bé, c’est très loin de concerner toutes les lésions des patients, dont la survenue capricieuse ne répond pas toujours aux « voies impénetrables du KB ».
    Tout ça pour dire, au risque de passer pour la rabat-joie, que le psoriasis arthtropatique ne concerne pas 5% mais 20 à 25% des patients psoriasiques, d’après le collège des Enseignants en Dermatologie de France, sur lequel je viens de finir mon cours. Précision apportée en toute humilité au nom de la loi de l’ECN.

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